Are you sure Hank done it this way?

Il y’a des choses que l’on ne doit pas faire du côté de Nashville. Qui vous assurent de vous retrouver le temps d’un clignement de cils attaché par une corde à un Pick-up et trainé à tout berzingue sur une rout rocailleuse du comté de Davidson. Commettre un album entier de reprises du Commandeur de la Country s’apparente à colorier au stabilo les fresques du Caravage. Surtout si l’on a l’outrecuidance d’être anglais…The The, groupe méconnu et pourtant brillant de Londres, s’y est pourtant essayé, et en guise de blasphème, c’est une cathédrale gothique lardée d’orgues comateuses et de wha-wha fantomatiques qui nous explose à la gueule.

Hiram King Williams. Hank Williams. L’homme qui, en six ans d’une carrière terminée tragiquement en janvier 1953, à l’âge de 29 ans, sur la banquette de sa Cadillac roulant vers la ville de Canton, dans l’Ohio, a gravé les tables de la Loi de la musique populaire. Une légende, un dieu, le péché originel de la Country. Le troisième membre de la Sainte Trinité musicale du vingtième siècle, au côté de Robert Johnson et d’Elvis presley.

Are you sure Hank done it this way? chantait Waylon jennings, l’un des outlaws emblématiques de la génération qui, avec Willie Nelson, Tompall Glaser, Kris Kristofferson ou Merle Haggard, a tenté de se libérer du carcan de la Country traditionnelle, dans les sixties et les seventies. Les reprises des chansons de Williams sont innombrables. Tout comme les hommages. A toutes les époques. Du groupe débutant faisant ses gammes dans les Honky Tonks du Lower Broadway à Ray Charles ou Leonard Cohen, en passant par toutes les aspirantes vedettes du genre tentant de s’acheter une crédibilité en jouant Cold Cold Heart sur la scène de l’Opry.

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En Angleterre, l’un des groupes les plus doués, originaux et scandaleusement sous-estimés des deux dernières décennies du XXème siècle s’est risqué à l’exercice ô combien périlleux de l’hommage à Williams en enregistrant, en 1994, l’album Hanky Panky, constitué de reprises du chanteur de Mount Olive, Alabama. The The est le groupe, la chose, devrait-on plutôt dire, de Matt Johnson, fondateur et unique membre permanent, qui a compté au fil des années dans ses rangs des musiciens tels que Johnny Marr et Gail Ann Dorsey. Un groupe inclassable, écho de l’esprit brillant, insaisissable et chaotique de son leader, dont la musique mêle au gré des albums marimba, polyrythmes africains, guitares bruitistes dans la droite lignée de Throbbing Gristle, lignes de basse funky, beats industriels, violon et accordéon folk, et musique électronique venue de Chicago et de Détroit. Le tout mêlé un ensemble rendu miraculeusement cohérent par la voix de crooner canaille de Johnson.

 

La seule influence difficile à discerner dans Soul Mining, Mind Bomb ou Dusk, les albums les plus reconnus de The The, est sans conteste la Country. Et pourtant…Matt Johnson a grandi dans un pub de l’East End de Londres, tenu par ses parents, et dont la scène a accueilli nombre de musiciens américains de renom, tels que John Lee Hooker ou Sonny Boy Williamson II.

Le Blues l’amena logiquement à s’intéresser à la Country, l’autre versant de l’aube de la musique américaine, qui, du côté des blancs cette fois-ci, narrait également le quotidien des pauvres gens, des exploités, des ruraux, des marginaux, des laissés pour compte. Et si la musique de The The ne semble pas vraiment issue de Music Row, à Nashville, les thèmes explorés par Johnson, un parolier de haute volée, sont en revanche très proches de ceux qui ont traversé l’oeuvre de Hank Williams. La solitude, la trahison, le chagrin d’amour, le sexe, et l’espoir fragile mais tenace en une rédemption, peut-être, un jour, au bout du tunnel.

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Matt Johnson, The The

Dès les premières notes de slide, égrenées par un dobro mélancolique et menaçant, de Honky Tonkin’, qui ouvre l’album, on est frappé par l’évidence qui s’accentuera tout au long des onze morceaux du disque. Johnson et les siens ont réussi le tour de force de respecter l’intimidant matériau original tout en le faisant leur. Au point que, tout en connaissant par coeur les paroles et les mélodies de Your Cheatin’ Heart, There’s a Tear in my Beer ou I Can’t Get You Off Of My Mind, on en viendrait même à jurer, emporté par la magie de ces morceaux aux instrumentations d’un équilibre subtil entre modernité et classissisme, qu’ils sont signés The The et pas Hank Williams.

Les mélodies, ainsi que les paroles, restent invulnérées, comme de juste. Impossible de toucher à l’essence même de l’oeuvre de Williams. Mais la voix de Johnson, les orchestrations, les brisures entêtantes des arrangements, l’orgue funéraire qui hante I Can’t Escape From You, les hululements de l’harmonica de Gentleman Jim Fitting, l’audace de certaines stridences électriques, font de Hanky Panky un album aussi inattendu qu’accompli. Et peut-être l’une des plus belles réussites en la matière.

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Intelligemment, et fort d’une connaissance profonde de l’oeuvre d’Hank Williams, Matt Johnson offre un inattendu mais parfait écrin à ses morceaux. Ecouter Hanky Panky à la nuit tombée, sur une route déserte, donne la troublante impression de descendre une rivière bordée de saules pleureurs, à bord d’une barque de fortune au côté d’un pasteur dont les mains sont tatouées des mots LOVE and HATE. Une paix de surface, tentant tant bien que mal de taire une sourde menace.

Les arrangements de Johnson rendent palpables les recoins les plus sombres de l’esprit de Williams, que l’on devinait jusque-là de loin en loin, au détour d’une intonation, derrière la mélancolie presque sautillante des enregistrements originaux, fidèles aux canons de l’époque. Et l’anglais met en musique les méandres tortueux de l’âme de l’américain, comme personne avant lui.

C’est peut-être sa version de I’m A Long Gone Daddy qui l’illustre le mieux. Avec une simplicité bien que efficace que tous les effets de manches.

« All you want to do is sit around and pout
And now I got enough and so I’m getting out

I’m leaving now
I’m leaving now
I’m a long gone daddy I don’t need you anyhow »

Les premiers vers de la version de The The sont chantés, a cappella, par la voix de Matt Johnson baignée de reverb’, une voix chaude, presque caressante, parfois à peine susurrée. une fois passée cette entrée en matière sereine, trois accords d’une guitare saturée, comme une bête fauve sûre de sa force, viennent lacérer le morceau, porté ensuite par une envoûtante guitare wha-wha.

I Saw The Light, la seule video disponible sur le net, que vous pouvez consulter un peu plus bas, est peut-être la chanson la plus directe, rock et évidente de l’album, mais là encore, même si The The ouvre le feu de manière moins subtile que sur le reste de l’album, toute la complexité du génie de Mount Olive est remarquablement servie et mise en lumière.

Well done, lads.

 

S.B.

Hanky Panky, The The, Epic, 1994.

 

 

2 commentaires sur « Are you sure Hank done it this way? »

  1. Et voilà , encore une découverte ! Merci pour ce partage. Je ne connaissais pas The The, il n’y a vraiment que ces petits blancs d’anglais puristes pour réussir ça, rebrancher les gens sur la country. Merci de parler de la country car il me semble que l’entièreté de cette musique n’a pas vraiment traversé les frontières. Moi j’y suis venue avec les Stones ( Dead Flowers, Sweet Virginia, Wild Horses), Gram Parsons ( Gilded Palace Of Sin avec ses Flying Burrito Brothers) avec son obsession de la country m’a fait découvrir Merle Haggard, Buck Owens, george Jones, le style de Bakersfield si différent de celui de Nashville et puis bien sûr Hank Williams, Ernest Tubb. Ce que j’aime , qui m’émeut dans cette musique c’est qu’on y retrouve toujours ce même désespoir nu qui traverse tant de chansons.

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