De quoi Boston Teran est-il le nom?

Satan Dans Le Désert est une gifle monumentale. Un roman Hard-boiled qui vous retourne les tripes et vous injecte des doses illégales d’adrénaline dans les veines. L’auteur de cette merveille? Personne ne le sait…

Le terme « culte » est tellement galvaudé aujourd’hui qu’il est vidé de son sens. C’est devenir un qualificatif pratique, brandi à tout bout de champ par les journalistes et les chroniqueurs culturels dès qu’ils s’emparent d’un sujet dont ils ignorent tout, et qu’ils se contenteront de survoler avec un air entendu de spécialiste au gré d’une intervention truffée d’approximations et de lieux communs.

Tout est désormais culte du moment que cela survient d’une manière ou d’une autre dans l’actualité, qu’il faut en dire quelque chose, et que, manque de pot, on n’a pas grand chose à en dire.

Boston Teran, lui, fait l’objet d’un vrai culte.
Parce que Satan Dans le Désert, son premier livre, est un baril de nitroglycérine.
Mais pas seulement.

L’auteur lui-même a de quoi nourrir tous les fantasmes.

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Nul n’a la moindre certitude sur son lieu de naissance, sur son lieu de résidence, sur son aspect, ou sur son sexe. Et ce n’est qu’une partie du mystère qui l’entoure… Les seules informations sur cet écrivain américain sont celles distillées avec une minutie d’horloger par ses éditeurs.

Jamais il n’a accordé une interview, jamais il n’est apparu à une cérémonie, jamais il n’a gratifié de sa présence des rencontres littéraires, des lectures, un festival ou un plateau de télévision. Et le fait d’avoir raflé une belle moisson de prix, aux Etats-Unis et ailleurs, n’a pas changé grand chose.

Trailer-parks et distilleries clandestines

Le héros de Satan dans le Désert, Bob Hightower, est un policier californien qui se consacre aux tâches administratives, et s’aventure sur le terrain de manière très exceptionnelle, pour quelques rondes nocturnes.

Durant ces rondes, il prend soin de passer devant la résidence de grand luxe où vit son ex-épouse, remariée à un homme puissant de la région. Et sa fille de 14 ans, qu’il salue rituellement, de loin, d’un balaiement de gyrophare.

Un rituel, c’est aussi ce à quoi ressemble le meurtre qui, un beau jour, va ensanglanter la résidence. Son ex-femme et son nouveau compagnon sont massacrés de manière barbare. Et sa fille est enlevée.
Hightower va se lancer à la recherche de Gabi, accompagnée de Case, une junkie repentie, qui le met sur la piste d’un gourou charismatique et sadique, Cyrus, et de sa bande de bikers illuminés et assoiffés de sang.

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Désert de Mojave

Au coeur du désert de Mojave, il va découvrir une autre Amérique. Une Amérique à la ramasse, un monde de trailer-parks, de distilleries clandestines, et de serres de marijuana dissimulées derrière les Black mountains.

Et il va faire connaissance avec le Mal. Le vrai.

Lardé de scènes sidérantes de violence

Ce livre est un choc de lecture tel que pour ses adorateurs, le monde se sépare en deux factions: celle qui a lu Satan dans le désert, et les autres.
A juste titre.

Satan dans le désert est un brûlot  qui ne laisse personne indifférent. Un livre qui nous explose en pleine face au fil des pages, mais qui plane mille coudées au-dessus du tout venant des romans à sensations qui abusent des retournements de situation brinquebalants.

Le premier roman de Boston Teran est viscéral, inoubliable, lardé de scènes sidérantes de violence, et de moments d’une beauté cruelle et mélancolique.

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Personne ne l’a jamais vu

Problème, ses livres suivants, Discovery Bay, Trois femmes, Le Credo de la violence, sont d’une qualité et d’une teneur toute différente. Parfois honorables. le plus souvent, embarrassants…

L’écart abyssal entre Discovery Bay et Satan dans le désert laisse par exemple pantois. Rarement dans l’histoire de la littérature mondiale on a pu constater un tel gouffre entre deux romans d’un même auteur.

A tel point que, alimenté par le secret qui entoure Teran, les rumeurs ont commencé à se multiplier sur sa véritable identité. Jusqu’à envisager la possibilité que ce ne soit qu’un pseudo commun, sous lequel se sont réunis plusieurs auteurs.

Dans un article publié par Sis Howell, « Boston Teran, the author who doesn’t exist », la journaliste souligne un détail frappant, propre aux trois premiers livres publiés sous ce nom:

  • Dans Satan dans le désert, Bob Hightower se transforme totalement pour retrouver sa fille, et devient Bob Whatever, un marginal moustachu et tatoué.
  • Dans Méfiez-Vous des morts, Victor Sully est victime d’une tentative de meurtre dans le désert à laquelle il survit in-extremis. Revenu d’entre les morts, il se rebaptise Vic Trey, et modifie lui aussi radicalement son apparence.
  • Dans Discovery Bay, Dane Rudd, malgré ce qu’il tente à tout prix de faire croire, n’est pas l’homme qu’il prétend être, et rien de ce qu’il raconte sur son passé n’est vrai.

Un pseudo collectif ?

Dans chacun des romans, un personnage central triche sur son identité, évolue sous un nom différent, et modifie sa façon de vivre, son passé, son aspect physique.

De quoi nourrir encore plus de soupçons sur Teran

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L’article de Sis Howell conte ses recherches, ses rencontres avec des gens qui ont été de près ou de loin en contact avec l’auteur, ou le supposé auteur, ses recoupements au fil des mois.

Et sa lecture est troublante, tant toutes les personnes interrogées fuient la discussion dès que l’on aborde la question de l’identité de Boston Teran.

Aujourd’hui, près de vingt ans après la publication de son premier roman, le mystère autour de Boston Teran reste entier. Depuis 2010, aucun de ses ouvrages n’a été traduit et publié en France, mais il continue à écrire.

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Ses plus récents méfaits datent de 2013, avec la parution aux Etats-Unis de deux livres, The Cloud and The Fire et The Country I Lived In.

Une chose est sûre, plus que pour n’importe quel autre auteur, il convient, pour découvrir Boston Teran, de ne pas se tromper de porte d’entrée. Et celle que l’on se doit d’emprunter est Satan Dans le Désert.

D’abord publié par Gallimard, il a été épuisé pendant quelques années. Avant que Gallmeister, l’année dernière, ne le réédite.

S.B.

3 commentaires sur « De quoi Boston Teran est-il le nom? »

  1. Merci, du fond du coeur, merci de nous donner l’envie furieuse de découvrir ce genre de météorite, bon ben ça fait quand même la deuxième fois ( avec F. Busch et « l’inspecteur de nuit  » ) que je tombe dans le panneau: bouquin introuvable ! Mais je ne vous en veux pas, c’est même le contraire! 👌😉✨

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  2. le problème quand on écrit un livre aussi puissant, aussi extrême, aussi terrassant, c’est d’enchainer. je n’ai pas lu tous ceux qui ont suivi, mais les deux ou trois que j’ai avalés donnaient l’impression d’avoir été écrits par quelqu’un d’autre, scribe de moindre envergure — ce qui, si l’on s’en tient à l’une des théories concernant l’identité de l’auteur, est d’ailleurs peut-être le cas. Mais God is a Bullet est une expérience de lecture physiquement ressentie. la main tremble en tournant les pages. pour qui peut, la VO est évidement recommandée.

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