No Sleep ’till Brooklyn

Publié cet année auréolé de l’honneur d’être le numéro 1000 de la prestigieuse collection Rivages/Noir, Gravesend est un premier roman, signé par William Boyle. C’est également un chant funèbre, une ode désenchantée à un quartier de Brooklyn devenu le tombeau des espoirs de ceux qui y sont nés. On peut sortir un homme du quartier, on ne peut pas sortir le quartier d’un homme..

« Jusqu’ici tout va bien… » Le mantra scandé par les jeunes marginaux de La Haine, en 1995, s’appliquait parfaitement aux quartiers déshérités de la Seine Saint Denis. Beaucoup moins à Gravesend, un quartier américain populaire, situé au sud de Brooklyn. A Gravesend, jusqu’ici, rien ne va bien. Reste à savoir si les choses empireront.

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A l’ombre de Manhattan, dans ce coin de New-York où se mêlent les communautés juives, portoricaines et italiennes, ces rues où se croisent sans cesse, comme dans une petite ville de province, les mêmes visages et les mêmes rancoeurs, Conway, un jeune homme de bientôt trente ans, tente de mener sa vie du mieux qu’il le peut. en composant avec le fantôme errant sans cesse dans son esprit. Celui de son frère, Duncan, assassiné seize ans auparavant par Ray Boy Calabrese, petite frappe du quartier. La conclusion tragique et sanglante de longs mois de harcèlement dus à l’homosexualité du jeune garçon.

Le jour où Ray Boy sort de prison, Conway ne sait pas vraiment ce qu’il veut faire. Mais il sait ce qu’il doit faire…

Le face à face des deux hommes, chez l’immense majorité des auteurs de roman Noir, constituerait les dernières pages d’une narration bâtie toute entière sur cette volonté de vengeance. Une soif de justice personnelle venant solder les derniers comptes d’une punition officielle jugée trop magnanime.

Chez William Boyle, rien de cela. C’est dès l’entame du roman que Conway braque son revolver sur Ray Boy. Et l’on comprend aussitôt, en parcourant cette scène d’ouverture aussi tendue que surprenante, que l’on avait tort de penser qu’on avait lu mille fois ce genre d’histoire.

En effet cette confrontation, de prime abord manichéenne, va au fil des pages prendre une toute autre ampleur. Bien sûr, la vengeance de Conway constitue l’épine dorsale de Gravesend. Mais le livre, d’une ambition folle pour un premier roman, est bien plus que cela.

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Tout ce qui fait la beauté de Gravesend se niche dans les ruelles de ce quartier de Brooklyn, dans cet univers étrange, de prime abord semblable à tant d’autres et pourtant à nul autre pareil. Le tour de force de Boyle est de nous convaincre que quoi qu’il advienne de Conway et de Ray Boy, impossible que cela advienne ailleurs qu’à Gravesend. Leurs sentiments, leurs choix de vie, leurs erreurs, les barrières mentales contre lesquelles ils ne cessent de buter, sont intimement liés à l’endroit où ils sont nés.

Cela va plus loin encore. Chez chacun des protagonistes de Gravesend, plus ou moins diffuse, plus ou moins consciente, plus ou moins amère, on devine cette tendance à considérer tout désir d’ailleurs, celui des autres ou le sien, comme une trahison. Le quartier les a modelé, éduqué, il a fait d’eux ce qu’ils sont. Et peu importe ce qu’ils sont, ce à quoi ils aspirent, ils en sont prisonniers. A jamais.

Conway, à son corps presque défendant, va réclamer la justice, en s’emparant d’un revolver. Plus que la douleur, la confusion, la rage, c’est l’endroit qui l’a vu naître et grandir qui le lui dicte.

 

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Conway, mais également Ray Boy Calabrese, fragile et déchirant, Alessandra, une actrice de troisième zone partie tenter sans succès sa chance à Hollywood, Eugène, neveu de Rat Boy, exemple de la facilité avec laquelle votre futur peut se dessiner à vos dépens sans vous laisser la moindre chance, ou encore Stephanie, l’amie d’Alessandra au physique peu avantageux, victime consentante des étiquettes que l’on vous colle à l’adolescence et que l’étroitesse de votre univers ne vous permettra jamais de décoller, d’autres encore, sont magistralement dépeints par Boyle et prennent vie avec force sous sa plume. Comme autant de facettes d’un désespoir au quotidien.

Mais il ne fait aucun doute que c’est avant tout Gravesend, le personnage central de Gravesend.

L’un des personnages de roman les plus complexes, désespérés, justes et émouvants que l’on ait croisés depuis longtemps. Au coeur du meilleur premier roman qu’on a lu depuis encore plus longtemps.

S.B.

 

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Gravesend, William Boyle, Rivages/Noir

 

 

2 commentaires sur « No Sleep ’till Brooklyn »

  1. Tout à fait d’accord ,c’est trés bon et comme c’est un premier roman ,on attend le prochain avec impatience …En plus belle couverture .
    En le lisant ,j’ai repensé à  » De l’autre côté des quais  » d’Ivy Pochoda ,un premier roman de l’année dernière
    Marie France

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