Janvier 2015, boulevard Saint-Germain. Derrière ces massives portes de métal qui surplombent l’avenue, nous attendent les Editions Rivages. L’un des temps forts, avec la visite à Gallmeister, de notre tournée parisienne des maisons d’éditions, pour envisager ensemble les auteurs qui pourraient être susceptibles d’apparaître devant les lecteurs de Corse quelques mois plus tard aux rencontres que nous organisons à Bastia, et qui s’appellent pour quelques mois encore, Una Volta, Dui Mondi.
Hind Boutaljante nous accueille dans son bureau, entouré d’étagères où trônent en dizaines d’exemplaires de récentes publications de la maison, Peace, Minard, St John Mandel, Stahl, Westlake, Neville… Responsable des relations presse de Rivages, elle est néanmoins notre interlocutrice privilégiée depuis les balbutiements de nos rencontres littéraires.
Nous passons en revue quelques invités potentiels sans grand enthousiasme, au gré du programme des prochains mois, jusqu’à croiser le nom de Laurent Chalumeau, journaliste, critique rock et écrivain remarquable dont le dernier livre, à paraître quelques mois plus tard, sera consacré au grand Elmore Leonard. L’enthousiasme refait son apparition, et je demande à Hind de faire connaître à Chalumeau notre envie de le compter parmi nous en juin.

On aborde ensuite la question toujours plus compliquée des auteurs étrangers, épine dorsale de la maison Rivages, qui compte un nombre considérable de poids lourds internationaux du roman Noir. Il faut à ce moment-là jongler avec le planning des auteurs, leur prochaine publication en France, leur temps de présence dans le pays, les sollicitations de la presse, des grands salons du Livre…
Autant dire qu’à Bastia, alors que nos rencontres littéraires n’ont qu’un an d’existence, on ne se refuserait pas la possibilité de recevoir un auteur étranger, mais comme ça, en passant, sans grande conviction. Autour d’un verre, pendant nos réunions, on se dit qu’on verrait bien James Lee Burke, Dennis Lehane, Tim Dorsey ou John Harvey se promener sur le Vieux port, et puis après on passe à autre chose.
Au moment où je m’apprête à remiser une nouvelle fois mes fantasmes au vestiaire, Hind me regarde en souriant, et lâche : « Bon, en mai, y a Ellroy… », ce qui me fait beaucoup rire.
Un style fiévreux, au staccato inimitable
Le Dog, monument du roman Noir contemporain. A lui seul, il a en a redéfini les canons. Mais son influence, et sa reconnaissance, vont bien au-delà du genre. L’oeuvre, tout comme l’homme, sont presqu’impossibles à décrire tant ils sont complexes, insaisissables et fascinants. Romans policiers, romans historiques, romans sociaux, fresques urbaines, les livres d’Ellroy sont tout cela à la fois, et bien plus encore. Des histoires de corruption, de damnation et de rédemption, où le macabre et l’horreur ne parviennent jamais à venir à bout de l’espoir. Son style, fiévreux, au staccato inimitable, déborde d’une énergie presque maniaque et d’une inventivité linguistique hors normes.
Lorsqu’Ellroy se déplace, à l’occasion de la sortie de l’un de ses nouveaux livres, c’est un événement. Les journaux les plus prestigieux s’étripent pour le mettre en couverture, les interviews se négocient âprement, rares sont les élus, innombrables sont les recalés.
D’autant que la légende est parée de surcroît d’une aura de personnage carnassier, caractériel, cabotin, aussi génial que roublard…
–« Je suis sérieuse. Pourquoi pas? Il ne restera qu’une poignée de jours en France, ne fera que trois apparitions publiques, mais on peut tenter de soumettre l’idée à François Guérif et à Ellroy, qui sait? »
-« Mais pourquoi Ellroy viendrait en Corse, Hind ? »
-« On ne sait jamais. Il n’y est jamais allé, il est curieux, ça peut lui paraître une parenthèse originale dans son périple, ça peut lui sembler séduisant. Donc ça se tente ».
Evidemment, dans ses cas-là, comme toujours, l’adrénaline, pour ne pas dire l’inconscience, prend le pas sur la prudence et la rationalité.
-« Ca coûte rien d’essayer ».
-« Envoie-nous une lettre où vous nous exposez vos motivations et votre envie de le recevoir, et on lui fait parvenir ».
Les heures qui suivent cet entretien sont un combat permanent entre l’envie de remplir le monde de la nouvelle, de noyer la Corse de coups de téléphone triomphaux, et la modération imposée par le fait que quatre cent librairies à travers tout le pays ont déjà fait une demande pour recevoir le Dog
Alors même que la nouvelle de sa venue n’est pas officielle, et qu’il ne fera que trois dates en France.
Alors autant éviter de parader pour rien, et de passer pour un fanfaron et un mythomane.
Un mois plus tard, un coup de fil de Hind lève toute incertitude.
James Ellroy, le dog, le chacal, sera bien à Bastia en mai.
S.B.
Bonjour et d’emblée Merci pour ce blog, c’est une pépite ! Il y a tout ce que j’aime . Pour Ellroy j’ai encore le noeuds dans la gorge de l’avoir raté et si votre lettre l’a tant touché pourquoi ne pas la publier? Ce serait intéressant, elle nous donnerait peut être à voir autre chose que le DOG, bien que j’aime le DOG et sa démesure, mais Ellroy semble tellement insondable…et vous avez raison c’est un Rolling Stones et d’ailleurs se balader dans votre blog c’est comme pénétrer dans la loge d’un Keith avec sa table de billard, le vin rouge, Robert Johnson ou Muddy Waters à fond la caisse et quelques guitares vénérables en guise d’inspiration…🎸🖋👌🐶
Belle continuation à vous !
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Merci beaucoup, c’est très gentil de votre part, c’est très encourageant!
Et dans les épisodes qui suivent, dès demain, vous verrez Ellroy d’une manière différente de ce que les média se plaisent à présenter, et en détail! Pour la lettre j’y ai pensé, j’avoue, mais je me suis dit que c’était un peu immodeste de la reproduire ici…Elle tentait de lui expliquer en quoi notre seule moteur pour le recevoir, au delà du coup de pub, de la médiatisation, de la satisfaction personnelle, de la perspective de vendre énormément de livres, c’était mon amour pour son oeuvre. Et c’était tellement sincère qu’il a du le ressentir, enfin j’espère!
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Passionnant ! hélas, nous n’étions pas en Corse lors de la venue de Ellroy. Vos articles atténuent nos regrets.
Pour l’anecdote, grâce à sa visite, nous avons découvert le sublime Campo di Monte lieu de sa résidence lors de son passage !
ps.
merci de nous avoir fait découvrir « Le policier qui rit » de Sjöwall et Wahlöo
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